L'éducation moins la vérité : que resterait-il à enseigner?

 

L'UQAM est une terre de diversité, pour ne pas dire un terreau fertile pour les contradictions. En parallèle du militantisme qui se met des oeillères et est incapable de remettre en question l'étroit éventail de vérités auxquelles il adhère, il y a  surtout en éducation  une tendance à ne plus adhérer du tout à l'idée de vérité. Ou sinon, on garde le mot mais on liquide la chose en disant que « chacun a sa vérité ». Comme le concept de vérité n'a d'utilité que si on parle d'idées consensuelles, aussi bien avouer clairement qu'on suggère l'idée qu'il n'y en ait plus. Mais encore, je suppose que soutenir cette idée reviendrait à accepter d'en débattre avec les tenants de la classique vérité consensuelle, et qu'il faudrait alors constater et admettre qu'il n'y a plus aucun sens à débattre, même, si la recherche de vérité n'est pas impliquée.

J'écris « surtout en éducation », mais ce n'est pas assez précis. Si l'idée est particulièrement forte à la Faculté des sciences de l'éducation de l'UQAM, je soumets l'hypothèse que c'est parce que la didactique des langues y occupe plus de place qu'ailleurs. C'est d'ailleurs une professeure de didactique des langues qui m'a inspiré ce billet par son vibrant plaidoyer post-vérité. Je pense que la didactique des langues porte à croire qu'il n'y a pas de vérité étant donné la complexité et la diversité des langues. Chaque langue étant en soi une lunette riche et unique pour regarder la réalité  un cadre donné à la pensée humaine des personnes qui pensent dans cette même langue , il est facile, partant de là, d'en venir à croire qu'il n'y a au-delà de ces lunettes pas de réalité que pourraient atteindre et toucher les locuteurs de différentes langues. Une langue crée en soi un monde dans lequel chaque locuteur se ménage son sous-monde en s'incorporant la langue et en l'adaptant. Les écrivains ne sont que la manifestation la plus concrète, parce qu'étendue au point d'être boursouflée, de cette personnalisation langagière. Comment donc pourrait-on croire, à partir de là, qu'il est possible de se convertir mutuellement à un ensemble d'énoncés consensuels?

J'ai longtemps pensé qu'il fallait refaire Babel. Évidemment, c'est une manière symbolique de parler : je ne crois pas à ce récit biblique de la dispersion d'une communauté linguistique unique. Il est plus probable que différentes langues soient apparues à différents endroits dans l'histoire humaine. Ce que j'entendais par là, c'était l'idée qu'il faudrait travailler à créer une langue unique pour accélérer la communication humaine. L'espéranto, langue synthétique par excellence, représentait parfaitement bien ce projet. Je ne pense désormais plus qu'il faut refaire Babel. Je pense que chaque langue, comme lunette sur la réalité, est pertinente pour attirer l'attention humaine sur tel ou tel de ses aspects. Et je considère les langues comme des lunettes souples plutôt que rigides : raison pour laquelle je me permets tant de néologiser, et pour laquelle j'essaie tant de rendre le français aussi néologisant que l'est l'anglais, par exemple. Mais toute langue, comme structure de règles de conceptualisation, reste pertinente à connaitre et à comprendre. Je dois faire la paix avec l'idée de ne pas pouvoir les comprendre toutes; ça, c'est un problème personnel. Ceci dit, je reconnais que pour la collectivité humaine, il est pertinent qu'il y en ait autant.

Ce n'est pourtant pas un motif suffisant de penser que les langues sont des lunettes qui ne permettent à un locuteur que d'examiner l'intérieur de l'esprit humain, voire de son propre esprit. Les reconnaitre comme des filtres ne revient-il pas à reconnaitre qu'elles sont une interface entre soi et une réalité externe? Il me semble que la communication implique l'idée qu'il y a quelque chose en commun dont on peut discuter. La transmission, donc l'éducation, n'auraient plus aucun sens s'il n'y avait pas de vérité. Qu'y aurait-il à enseigner si les idées intuitives des élèves valaient autant que les idées expertes des enseignantes? Une langue elle-même, comme structure de règles, n'implique-t-elle pas que certaines formulations respectent davantage les règles que d'autres  que certaines sont donc correctes et d'autres incorrectes? 

À un premier niveau, ça permet seulement de dire qu'on reconnait l'existence de la langue, mais pas de la réalité qu'elle servirait à décrire. En effet, on peut toujours plaider que ces règles sont arbitraires. Et elles le sont dans une certaine mesure, mais dans une certaine mesure seulement. Parce que reconnaitre ces règles, c'est reconnaitre les structures cérébrales qui les portent, et qui limitent l'apprentissage des langues après un certain âge. C'est reconnaitre la société comme limite du caractère arbitraire du changement des règles... ce qui a été mon premier, et sans doute mon plus dur apprentissage de la lenteur de tout changement social. Tout ça doit être reconnu pour qu'on veuille contribuer à l'améliorer, notamment par l'éducation. Je souhaite donc à l'éducation, présente comme future, qu'elle cesse d'être le fer de lance du relativisme épistémique, et qu'elle redevienne plutôt l'avant-garde de l'absolutisme épistémique progressiste.

Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Doué·e·s/zèbres : l'anticonceptualisme est antipédagogique

Système nerveux, agentivité et égo : entre manque et excès d'identité

Enseignement : aimer sa discipline ne suffit pas