Mes body issues, les crises cardiaques et l'école
Quand j'étais au primaire, j'étais gros. Ma mère disait – à moi, mais surtout à d'autres personnes qui se moquaient de moi à cause de mon surpoids – que j'avais de gros os. Déjà, à l'époque, j'étais incapable de vivre dans le déni : je savais bien que ce n'étaient pas de gros os flasques qui m'entouraient le ventre. Les bons parents font ce qu'ils peuvent pour protéger leurs enfants de la dureté du monde. Mais même ce que peuvent les meilleurs parents est insuffisant. C'est pour ça que l'école est là : pour compenser.
Or, que faisait l'école jusqu'à tout récemment à ce sujet? Rien. Heureusement (?) pour moi, un médecin incompétent s'en est mêlé. Alors que j'étais en sixième année du primaire, après avoir trouvé de l'hypercholestérolémie chez mon père (normalement dépisté vu son âge), il a dosé mon cholestérol sanguin. Verdict (sans surprise) : élevé. M'imaginant que ça voulait dire que j'allais bientôt mourir d'une crise cardiaque comme mon grand-père si je ne faisais rien, je me suis mis au vélo stationnaire intensif et me suis lancé dans un régime au point de perdre tout mon surplus de poids en quelques mois.
Avais-je développé un sain rapport à l'exercice physique? Non : je l'avais utilisé contre moi-même comme une sorte de bâton avec lequel je me punissais de mon habituelle paresse de grand lecteur. Avais-je développé un sain rapport à la nourriture? Non : je m'étais assez discipliné pour m'en priver, au point de développer avec elle une relation amour-haine qui friserait souvent les troubles de comportements alimentaires.
Heureusement pour moi, même si j'ai toujours été bon mangeur, j'ai aussi toujours été assez actif pour rester relativement mince. Jusqu'à l'an passé, où un horaire surchargé (et sans doute un métabolisme sur son déclin avec l'âge) m'a fait bouger beaucoup moins. Donc j'ai pris du poids.
Depuis, je suis pris avec de terribles body issues qui jouent sur mon autoestime. Pourquoi? D'abord parce que, dépris de ma grosseur en jeune âge, je n'ai jamais vu comme un impératif le fait de valoriser une corporalité diversifiée. Ensuite parce que je m'en rends responsable, me disant que j'ai déjà réussi à faire du sport et à contrôler mon alimentation au point de rapidement perdre beaucoup de poids par le passé, et constatant que je ne réussis plus aussi facilement maintenant. J'ai beau savoir tout ce qui joue contre moi et qui fait que je ne peux pas simplement m'en blâmer comme étant un manque de volonté, ça ne suffit pas. J'ai toujours assumé assez ouvertement ma grossophobie. Je ne la blâme pas maintenant qu'elle se retourne contre moi. Je suis seulement forcé de constater, d'un point de vue pédagogique, à quel point elle est un moyen sous-optimal de me faire bien bouger et bien manger.
L'école aurait pu contribuer à ce que tout ça soit mieux géré. Mais ce vers quoi elle se dirige, c'est vers une autre modalité de mauvaise gestion de la question. Après avoir longtemps insuffisamment agi contre le triste ostracisme des gros enfants, elle risque de tomber dans la valorisation de la grosseur. J'assistais ces deux derniers jours à l'École de printemps sur la diversité à l'école du Centre d'étude sur l'apprentissage et la performance (CEAP) de l'UQAM. Marie-France Goyer, chargée de cours en sexologie, y a sensibilisé les enseignants de l'auditoire aux risques de la discrimination envers les personnes grosses... mais y a aussi procédé à un mitraillage en règle de la médecine et de la santé publique qui m'a braqué. Je me suis présenté au micro pour dire qu'en tant qu'«ancien médecin repenti», j'étais d'accord pour dire que le système de santé pouvait participer à cette discrimination d'une manière problématique, mais qu'on ne pouvait pas nier qu'un certain niveau de poids soit un facteur de risque pour la santé physique.
Dans ce contexte, n'est-il pas du devoir de l'éducation physique et à la santé dont l'école a la charge de contribuer à prévenir les maladies chroniques (liées aux habitudes de vie) devenues épidémiques? La conférencière m'a rassuré en disant ne pas être une «complotiste» qui nierait ce facteur de risque (heureusement... sa présentation ayant donné cette impression). Il s'agissait seulement de constater que le bâton semblait moins efficace que la carotte pour pousser au développement d'un sain rapport avec l'activité physique et l'alimentation, qui peuvent à la fois diminuer et prévenir le surpoids. La conférencière qui la suivait est intervenue pour dire que, de toute manière, on savait maintenant que la génétique..., etc. Je lui ai répondu que je savais tout ça, mais qu'on parlait de ce que l'école peut faire, et que l'école peut agir en changeant les comportements, pas en faisant des modifications génétiques.
Je ne nous souhaite pas une école qui insiste sur tout ce que nous ne pouvons pas faire, personnellement et collectivement : ce serait une école qui aurait baissé les bras. Je ne nous souhaite pas une école qui nie le lien bien établi entre le poids et plusieurs problèmes de santé : ce serait une école qui contribuerait à augmenter les crises cardiaques – déjà dans les premières causes de mortalité au Québec. Je nous souhaite une école qui puisse conscientiser ses élèves à ce lien et à l'importance de l'activité physique et de la gestion alimentaire, sans pour autant contribuer à la discrimination envers les personnes grosses et à leur ostracisme.... surtout chez des enfants et des adolescents, qui sont encore plus fortement influencés par les choix familiaux que des adultes. Je nous souhaite une école qui investit dans le long terme. Si j'avais été élève de cette école-là, j'aurais sans doute moins de body issues actuellement. Cette raison-là suffit pour que je veuille contribuer à travailler à améliorer cet aspect de l'enseignement des compétences socioaffectives que je souhaite voir davantage faite par l'école du 3e millénaire. Une autre est le fait d'être passé par la médecine avant et de persister à croire que la santé et l'éducation sont des vases communicants et gagneraient à se soutenir mutuellement dans leurs missions.
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