Enseignement : aimer sa discipline ne suffit pas
Mathieu Bock-Côté a récemment publié dans les pages du Journal de Montréal un billet titré L’enseignement est un art, pas une science!. Comme un peu de bon grain y côtoie beaucoup d'ivraie, je tiens à m'attaquer à l'ivraie pour qu'on ait davantage envie de planter ce grain.
Quand on dit de n'importe quel métier (enseignement, médecine, droit) qu'il s'agit d'un art plutôt que d'une science, on pense au sens latin du mot « art ». Mais le latin « ars » équivaut au grec « technè », et les deux seraient mieux traduits par le terme actuel de « pratique ». Il n'y a donc aucun sens à dire que l'enseignement est un art plutôt qu'une technique.
Ceci dit, ce n'est pas une science puisque ce n'est pas un savoir : comme toute profession, c'est la mise en pratique d'un savoir. Je suis donc d'accord pour dire que les facultés des sciences de l'éducation vont trop loin en intégrant le mot « sciences » dans leur nom. La médecine est une pratique ancrée dans beaucoup de sciences, mais on ne parle pas de « facultés des sciences médicales ». La différence est que la médecine a moins besoin de prouver son ancrage scientifique que l'éducation. J'invite donc mes collègues des facultés d'éducation à chercher à être scientifiques, et pas seulement à le paraitre.
Toute personne qui a mis les pieds dans une faculté d'éducation sait qu'on n'y enseigne pas de didactique générale, mais une didactique du français, une didactique des mathématiques, une didactique de l'histoire, etc. Aucune de ces personnes ne pense que les disciplines sont interchangeables. Ce n'est pas le cas de M. Bock-Côté, habituellement assez bon historien et sociologue des idées… mais apparemment pas des idées en éducation.
Ceci dit, au primaire et secondaire, on peut être bon didacticien des mathématiques même si la connaissance qu'on en a est limitée. Un enseignant du secondaire n'a pas besoin de maitriser le calcul intégral pour enseigner l'algèbre. Par contre, M. Bock-Côté établit un lien pertinent et essentiel entre un certain type de connaissances sur la matière et la passion nécessaire pour bien la transmettre. Si l'enseignant en comprend l'histoire, par exemple, il saura mieux transformer ses élèves en petits mathématiciens qui refont en accéléré, dans leur apprentissage en classe, une partie de l'histoire des mathématiques.
Et justement, une formation universitaire en mathématiques fait bien apprendre cette histoire. Par contre, elle n'enseigne pas du tout la didactique des mathématiques. Il y a une autre chose, encore plus indispensable pour un futur enseignant, qu'elle n'enseigne pas : la gestion de classe. Et c'est souvent, malheureusement, la compétence la plus importante d'un enseignant pratiquant dans le primaire et le secondaire d'aujourd'hui.
Si tous les élèves étaient sages comme des images, entièrement disponibles pour apprendre, atteints par aucun trouble développemental (ex. : TDAH, dyslexie) et aucun trouble de comportement, le programme court proposé par le ministre Drainville serait assurément suffisant. On peut en douter si on sait que la compétence de gestion de classe est celle qui explique la majorité des échecs aux stages des étudiants en éducation. C'est aussi ce problème qui fait qu'un nombre élevé d'étudiants devenus enseignants quittent le domaine peu après. On peut penser que le programme court n'améliorerait pas les choses.
Enfin, je rassure M. Bock-Côté : les idées sur l'éducation qui ont fait la Réforme et qui sont souvent défendues par des lettres ouvertes n'ont pas nécessairement une grande prise sur le terrain. L'« effondrement culturel » de l'école s'explique de plusieurs manières. Mais oui, le monopole des facultés d'éducation, difficile à briser, doit être analysé et interrogé. On peut espérer que notre nouvel Institut national d'excellence en éducation osera le faire.
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