Anxiété évaluative et excellence : jeter le bébé avec l'eau du bain

Source : Seb_Ra/iStock

Même si beaucoup d’étudiant·e·s du labo de ma directrice de doctorat se penchent sur l’anxiété évaluative (la branche de l’anxiété de performance qui concerne les tests scolaires), j’avoue ne pas en être un expert moi-même. Ceci dit, à travers mon exposition à mes collègues, mes apprentissages autodidactes et mon habituelle tendance à aller au fond des choses, je me suis monté une réflexion sur le sujet que je considère pas pire du tout. Elle est ressortie hier à l’occasion d’une discussion dans le cadre d’un séminaire – qui avait la chance de n’être pas que théorique, puisque nous parlions de nos propres expériences.

J’en tire plusieurs constats. D’abord, que l’anxiété évaluative semble considérée avec le sérieux d’un trouble psychiatrique inscrit au DSM-5. En fait, ni cette anxiété, ni la plus large anxiété de performance n’y sont. Le diagnostic officiel qui s’en rapproche le plus pourrait être celui de trouble d’anxiété sociale, plus général dans l’exposition qui le déclenche. Mais après tout, est-ce déraisonnable d’envisager que ce trouble soit trop général et mérite d’être sous-divisé? Dans le contexte fortement socialisé de l'humanité du 3e millénaire, comme les façons de souffrir de la vie sociale sont diverses, des diagnostics plus nombreux et plus précis pourraient permettre de mieux représenter ces divers troubles. L’anxiété causée par l’idée d’être jugé par un groupe en prenant la parole et celle de se sentir invalidé par l’institution scolaire à cause de mauvais résultats aux tests, même si elles restent liées par la composante sociale impliquée, sont suffisamment différentes pour que le travail psychothérapeutique sur les deux soit différent. Et comme le but des diagnostics est de rendre les interventions plus efficaces, en avoir plus à ce sujet serait utile.

Ensuite, qu’on a trop tendance à jeter le bébé «évaluation» avec l’eau du bain «anxiété». A-t-on le même réflexe de condamner la vie sociale étant donné l’existence d’un trouble d’anxiété sociale? Non, parce qu’on voit facilement les avantages de la vie sociale. Dans le cas de l’évaluation, il semble qu’on n’en voie pas suffisamment les avantages. Certains enseignants la conçoivent comme un mal nécessaire imposé par le système éducatif et s’y soumettent malgré eux. D’autres lui trouvent une certaine fonction comme sanction des apprentissages, mais soutiennent plutôt le mode succès/échec. Celui-ci est suffisant quand la sélection d’après les résultats se fait sur un mode binaire. Par exemple, pour indiquer qui devrait passer d’une année à l’autre, il est suffisant, puisqu’on peut établir clairement le seuil de connaissances qu’on considère nécessaire pour réussir au niveau suivant. Il n’est pas suffisant pour des sélections plus fines, par exemple des candidats cégépiens pour des programmes universitaires, ou encore des candidats universitaires pour des entreprises. Au contraire, le succès/échec est suffisant pour une formation en entreprise, puisqu’il y a peu de valeur ajoutée à une plus grande différenciation. 

Enfin  et c'est sans doute ce qui m'a le plus déçu , que la critique de l'évaluation cache souvent une critique de l'excellence. Il semble que, pour certaines personnes, toute volonté de performance soit pathologique et n'indique que l'intériorisation d'une pression malsaine imposée par d'autres. Or, l'éducation n'a aucun sens si elle ne vise pas l'atteinte de l'excellence. Elle ne peut que fonctionner avec un optimum dont elle tente de rapprocher les éduqués; sinon, éduquer ne serait que transformer aléatoirement et pourrait donc tout autant déformer que former les éduqués. L'éducation peut aussi développer les compétences socioaffectives qui permettent de gérer les revers qu'implique la tension vers l'excellence, et qui peuvent faire mal. Elle le doit, puisqu'en entretenant cette tension, elle met les éduqués à risque. C'est la moindre des choses que cette entraineuse qui encourage à courir enseigne à réparer les chevilles cassées. Et les spécialistes de la transmission ne sont-ils pas les mieux placés pour le faire?

De ce que je connais des écrits scientifiques sur l'anxiété évaluative, on n'a pas encore poussé très loin l'étude de ses causes comparativement à celle de ses conséquences. Je me permets cette hypothèse : elle vient du fait qu'une trop forte partie de son autoestime soit ancrée dans l'estime que l'institution scolaire a de soi, reflétée par les notes qu'elle attribue à ses productions à travers l'évaluation. On dira que le cas de figure où un apprenant aurait besoin de notes élevées pour entrer dans un programme ou une profession échappe à cette logique. Et pourtant, dans combien de cas y entrer ne répond-il pas à l'impératif d'atteindre un statut social qui permet de calquer son autoestime sur l'estime d'autrui? Dans ce cas, l'institution évaluative est repoussée d'un ou de plusieurs niveaux, mais le mécanisme est le même. Pour le contrer, l'école pourrait enseigner de quelle façon se construire une autoestime diversifiée et équilibrée, plus stable, donc moins susceptible de surréagir aux coups ponctuels que donnent les notes basses.

Ne donnons pas l'exemple d'une école qui se débarrasse de tout critère d'excellence, mais enseignons aux apprenants à développer leurs propres critères d'excellence, en parallèle. Disons-leur qu'établir de tels critères et avancer vers eux est nécessaire pour s'améliorer, mais aussi que l'autoestime optimale est le résultat de la progression vers l'ensemble de ces critères plutôt que vers un nombre restreint d'entre eux, surtout s'ils proviennent d'une même source et que celle-ci se trouve à l'extérieur de soi-même. Ça me semble le meilleur moyen de garder à l'école sa capacité à créer une tension vers le haut. Si nous enlevons à l'école cet ultime pouvoir, que restera-t-il d'elle, sinon un lieu où on se rassemble pour jouer? 

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